C'est une question essentielle que je n'ai pas réellement traitée dans les articles précédents. Tout peut-il être pardonné ? Que reste-t-il à pardonner lorsque le persécuteur vous a tout pris et a tout détruit ?

On ne peut comprendre ce que veut dire pardonner si on ne sait pas d'abord pourquoi une victime ne peut pas pardonner. Il faut comprendre le mal qui a été fait, la souffrance infligée et subit et comment le traumatisme s'est mué en un mal impardonnable.

Pour bien des victimes, pardonner est de l'ordre de l'impensable. Pour d'autres, seul le pardon a permis de suivre la voie de la résilience et continuer d'avancer.

Que se passe-t-il chez les personnes qui ne sont pas en capacité de pardonner ? On décèle à travers ce refus un obstacle psychologique, une résistance, un conflit interne terrible.

Dans son livre sur son expérience des camps de la mort, Primo Levi (1987) raconte comment, un jour, un Allemand est venu lui demander pardon, geste qui a produit en lui une vive tension et l'a mis dans un grand embarras. Ne sachant que lui répondre sur le moment, il s'est décidé à lui envoyer une lettre dans laquelle il a écrit : « Je ne sais pas ce que signifie pardonner ; je ne connais pas réellement le sens de ce mot. » Sa réaction montre à quel point ses repères ont été bouleversé, sa pulsion de mort (force de destruction) a pris toute la place dans son traumatisme.

L'impardonnable pourrait se symboliser par une voie sans issue, une impasse de la pensée où aucune lumière, aucune ouverture ne transparaît. Cette expérience est doublée d'un sentiment de mal irréversible, de cicatrisation impossible, le sujet se retrouve impuissant face à quelque chose qu'il ne peut expliquer.

Qu'est-ce qui rend certains actes impensables, impossibles à représenter ?

Cela dépend du chemin de vie du sujet, du lien qu'il fait entre sa vie blessée et sa propre évaluation des actes commis (ex : tuer un enfant est le pire crime qui puisse être commis). La blessure impardonnable se lit à l'aune de ce qui a été détruit en soi et qui est considéré dans son échelle de valeurs comme un mal impardonnable.

Nous vivons actuellement dans une société où le pardon n'est plus au goût du jour. Les médias nous pilonnent chaque jour de récits d'atrocités, de délits plus ou moins graves, d'actes que nous nous empressons de juger, de critiquer. Plus l'information fait le « buzz », plus elle est regardée. En face, les sujets que nous sommes s'indignent, se mettent en colère parfois, éteignent la télévision pour ne plus avoir à y faire face... Notre monde ne sait plus pardonner parce qu'il ne nous donne plus les outils pour le faire. Tout est conflit, tout est violence et agressivité, hypocrisie et conspiration.

Qu'est-ce que le pardon face aux conflits, aux guerres dont nous abreuvent les médias chaque jour ? Un propos naïf ? Un concept zen, faussement à la mode ?

Nous ne savons plus pardonner car nous n'avons plus d'expérience du pardon. Tout devient impardonnable. Toutefois, si on se limite à cette pensée, c'est toute notre manière d'être au monde et nos relations aux autres qui se vident de leur substance. Restaurer la relation à l'autre, les échanges de réciprocité, authentiques, affectueux, bienveillants me semblent plus que nécessaire face à ce triste constat.

Le verrou psychique, l'incapacité à sortir de son passé traumatique témoigne d'une impasse de la pensée et entretient la souffrance dans laquelle se réfugie la victime. Il faut alors aider la personne, travailler sur la déflagration de sa vie détruite, sur son intériorité morte et considérer ce qui est impardonnable en elle et qui en fait le moteur de sa souffrance.

La psychanalyse pousse le sujet à parler, à symboliser, à représenter par des mots, parfois des images ce qui n'a pas pu être pensé, représenté et réfléchi dans l'esprit de la victime traumatisée. Ce qui est pensé, élaboré, représenté constitue le début d'une possibilité de pardon.

Vous retrouverez cet article sur ma page Facebook Mylène Le Cornu – Psychopraticienne & Hypnothérapeute. Si vous souhaitez laisser un commentaire, je vous invite à suivre ma page https://www.facebook.com/profile.php?id=100088995155152

Source :

Gustave-Nicolas Fischer, Pardonner, guérir des blessures de la vie, Odile Jacob, 2023.